Pour les amateurs d’aviation légère, voici un article que j’ai signé en mars 1991 pour la revue Aviation & Pilote, après ma participation au Tour d’Espagne aérien. Souvenirs et émotions fortes…
VUELTA A ESPAÑA
Par Bernard Clavière
Après 6 années d’interruption, le Royal Aéroclub d’Espagne (RACE) a renoué cette année avec la tradition du Tour d’Espagne Aérien (Vuelta Aérea a España).
Un rallye considéré comme l’épreuve reine de l’aviation générale et sportive espagnole, dont il constitue une sorte de vitrine et de thermomètre.
Ces années d’absence auront été l’une des périodes les plus noires de ce secteur clé de l’aéronautique, lequel après s’être vu retirer toutes ses subventions, a dû faire face aux pires entraves administratives et fiscales. La réapparition de la Vuelta permet enfin d’augurer d’un futur prometteur. L’édition de cette année a bénéficié en effet d’un appui important de la direction générale de l’Aviation civile et apporte une vue nouvelle sur le rôle essentiel que doit jouer l’aviation générale et sportive dans le développement de l’industrie aérospatiale espagnole.
La réponse des pilotes fut enthousiaste et l’heureuse coopération de l’aéroclub du Portugal lui donna une dimension ibérique : perspective importante dans le contexte d’une intégration européenne qui progresse rapidement.
Ce sont donc 60 avions qui se regroupent à Léon, dans le nord-ouest de l’Espagne pour le départ de la première étape. La piste en terre qui nous accueille est difficile à trouver mais l’impressionnant déploiement des appareils sur le parking nous guide jusqu’au terrain.
Nous arrivons en effet parmi les derniers, après 4 h 30 de vol depuis Ibiza, par une nébulosité importante et de fortes turbulences. Le survol de l’eau ne nous a pas particulièrement intimidé puisqu’il constitue notre lot quotidien dès que l’on décolle de notre petite île. En revanche, que d’émotions lors de la traversée d’est en ouest.
ASPIRÉS PAR UN CUNIMB
En effet, le mauvais temps nous attendait à l’approche de la cordillère ibérique centrale… Notre Cherokee essuie quelques bonnes averses en faisant du slalom entre les gros nuages menaçants. Soudain, devant nous, tout se referme, une immense montagne grise ; plus le temps de réagir, nous sommes dedans.
En l’absence totale de repère extérieur, et ne possédant aucune formation IFR. je pense à mon instructeur qui avait jadis insisté pour me faire piloter uniquement aux instruments en me faisant porter un masque qui empêchait toute perception de l’environnement… C’était il y a bien longtemps et, pour ne rien arranger, l’avion est durement secoué. Les secondes durent des heures. Je transpire de tous les pores de mon corps.
Un coup d’oeil au vario me pétrifie : son aiguille s’envole soudain vers le haut et ne semble pas vouloir s’arrêter ! L’horizon artificiel et le badin me rassurent à peine ; alors que j’allais pousser le manche vers l’avant pour corriger une ascension indésirable, je m’aperçois que nous sommes bien en vol « horizontal ». Que se passe-t-il ? L’avion est maintenant violemment secoué et nous volons toujours dans la ouate ; aucune visibilité ; c’est l’enfer, le stress total…
Puis aussi facilement qu’il nous a avalé, le monstre nous recrache. Je n’en crois pas mes yeux mais l’altimètre est formel : nous sommes montés de plus de 600 pieds en quelques secondes dans le ventre de ce nuage !
Bien que n’ayant pas eu le loisir de regarder ma montre. je sais que tout s’est passé très vite. Quelle ascendance !
Je réalise alors le jeu dangereux auquel nous venons de jouer en essayant de passer à tout prix : on ne plaisante pas avec le cumulonimbus, le plus dangereux des nuages, à l’intérieur desquels se croisent des courants ascendants et descendants pouvant atteindre 30 m/s !
Je passe les commandes à mon copain pour me détendre un peu. La visibilité s’améliore très légèrement mais il y a belle lurette que nous ne savons plus où nous sommes, depuis que nous avons commencé le jeu de cache-cache avec les orages. Le contact radio avec le Seneca qui nous suivait depuis Ibiza est perdu et nous nous trouvons loin de toute balise.
Nous affichons à l’ADF la fréquence d’une station de radio que nous situons dans le secteur qui nous intéresse et que l’aiguille semble indiquer normalement. Lorsque nous recevons enfin le NDB de Léon, nous découvrons que nous nous trouvons à 50 NM (90 km) de notre position prévue !
Nous ne cherchons pas à comprendre, trop contents de voir la fin du voyage ! Et le sympathique accueil de l’aéroclub de Léon nous fait rapidement oublier nos émotions.
Grandes claques dans le dos au moment des retrouvailles des habitués des épreuves aériennes, ambiance chaleureuse bien que très « macho » : en Espagne encore plus qu’ailleurs. l’aviation est un monde d’hommes.
Je regrette de ne trouver aucun avion français. Il est vrai que l’aviation n’est pas le cyclisme et que les tours aériens ne connaissent encore qu’une représentation purement nationale.
Après les premiers discours, remises de plaques commémoratives et maints remerciements mutuels. a lieu le premier briefing technique. Un superbe livret est remis aux participants, rassemblant toute la cartographie et les informations d’aéroports qui intéresseront la compétition.
En retournant à l’avion, nous observons avec inquiétude un énorme front orageux vers le nord. de lourds nuages noirs agrémentés de splendides éclairs, le tout au ras du sol. Une rapide vérification nous rassure un peu : notre cap sera plutôt nord-est, et par là, ça va encore.
« Dios mio », nous sommes loin du ciel bleu d’Ibiza !
CRASH AU DÉCOLLAGE
Les appareils se présentent en file au roulage et les décollages rapprochés commencent lorsque la radio retentit « Un avion s’est écrasé, un avion s’est écrasé au décollage ! » Un frisson nous parcourt l’échine. L’orage monte et le plafond est aussi bas que notre enthousiasme.
Mais la décision est prise immédiatement par les organisateurs de poursuivre les décollages. Le rallye ne peut s’arrêter avant même d’avoir commencé. Il faut y aller. On se présente en bout de piste et on met les gaz. Aussitôt en l’air, on aperçoit la carcasse du Cessna 172 de nos amis d’Alicante. Mais il faut prendre le cap et guetter le premier point à repérer, tout près de là, le Polaroïd prêt à l’emploi.
La première étape, manche unique de 350 km pour cette fin de journée, nous emmène jusqu’à La Coruña, à la pointe extrême de la péninsule. Une étape montagneuse qui, avec le manque de visibilité, nous oblige à voler par endroits à 150 m seulement au-dessus du sol, ou dans le fond des vallées. Ces difficultés provoquent déjà l’abandon de quatre avions.
ARRIVÉE DÉCONCERTANTE
Cette première arrivée d’étape est pour les pilotes une expérience extraordinaire, surtout pour ceux habitués, comme moi, à voler d’un aéroport international au trafic très dense l’été, et où il ne faut pas plaisanter avec les instructions de la tour.
Alors que nous nous approchons de la CTR, nous entendons le contrôleur, à bout de ressources, annoncer (traduction aux bons soins de l’auteur) :
« A tous les avions du rallye, n’appelez plus, ce n’est pas la peine. Je répète il n’y a plus de contrôle. Que chaque avion garde ses distances à vue ! Je vous dirai simplement ce que je vois. Voici un Cessna blanc et rouge en approche, suivi d’un avion bleu, suivi d’un autre ! Aaaah, je compte maintenant quatre avions en approche, non, cinq ! L’avion bleu va trop vite, il remet les gaz et dégage ! Bon, ça va, continuez ! Attention, il y a du monde sur le circuit ! »
Un morceau d’anthologie du contrôle aérien. Imaginez Léon Zitrone commentant une arrivée de courses de
chevaux : la ressemblance était frappante. Et ce cirque a duré une heure, le temps de faire atterrir tout le monde.
On ne comptait plus les remises de gaz de dernière seconde pour ne pas se poser sur l’avion précédant. J’imagine que le pauvre contrôleur a pris par la suite une semaine de congés. Entre temps, un Boeing des lignes intérieures Aviaco avait sagement retardé l’allumage de ses moteurs avant de demander timidement à la tour :
« Vous croyez qu’il y en a encore ou je peux partir ?… »
La deuxième étape (320 km) nous fait survoler les magnifiques plages blanches des rias de Galice avec un brouillard bas qui nous oblige à voler « on top ». Puis le soleil nous accueille au Portugal, pour ne plus nous quitter pendant toute la Vuelta. Lunch sympathique à Vila Real, près de Porto, qui nous permet de goûter un peu la cuisine portugaise.
Cette étape avait été initialement prévue à Cascais, près de Lisbonne mais les organisateurs ont décidé, à juste titre, que 620 km constituent un trajet bien long pour une seule matinée. Là encore, une météo difficile oblige un avion à se détourner sur Salamanque, un deuxième sur Porto et un troisième abandonne et rentre chez lui à Madrid, dégoûté.
Il n’y a aucun problème de phraséologie radio à Vila Real, des membres de l’organisation ayant été dépêchés pour assurer le contrôle depuis la tour pour les équipages espagnols. La troisième étape (475 km) nous conduit à Badajoz, superbe ville d’Estrémadure.
Le jour suivant nous fait admirer les immenses plaines de l’Andalousie, et les grands troupeaux de taureaux autour de splendides fincas seigneuriales. Quatrième étape (303 km) jusqu’à Jerez de la Frontera (Province de Cadiz). Lunch à l’aéroport avec dégustation du fameux vin blanc. Heureusement que les pilotes espagnols ne soufflent pas dans le ballon !…
FÉERIE A L’ALHAMBRA
On réussit à pousser jusqu’à Grenade (241 km), après un petit saut à 2 000 m pour éviter le relief. Ici, l’atterrissage est rigoureusement l’inverse de celui de La Coruña : le contrôleur décide de contrôler réellement le trafic, ce qui donne des attentes de 50 minutes à 1 heure avant d’être autorisé à intégrer le circuit.
Grenade est une belle ville et je crois pouvoir maintenant en dessiner l’Alhambra toute entière de mémoire ! Certains avions, ayant épuisé leurs réserves de patience, en profitent pour aller faire un tour sur la côte méditerranéenne toute proche.
La nuit venue m’apporte ce qui reste pour moi le meilleur souvenir de cette aventure : un buffet offert dans les magnifiques jardins de l’Alhambra baignés de senteurs magiques, dans le doux gargouillis des fontaines rafraîchissantes, loin au-dessus des lumières de la ville.
La sixième et dernière étape, longue et difficile (469 km) nous fait rejoindre Madrid pour le repas de gala et la remise des prix. Léoni Benabu et Carlos Eugui s’adjugent la première et deuxième place. Sans surprise. Ces pilotes ont déjà largement fait leurs preuves et sont les deux principales figures de l’aviation sportive espagnole.
Quant à nous, une place de 23e ne nous a pas déçus, car nous sommes surtout venus faire du tourisme. Les jambons de Badajoz et les bonbonnes de vins de Jerez qui ont quelque peu alourdi notre charge en sont les témoins !
Quelle leçon de géographie que ce tour d’Espagne ! Vraiment le pays des châteaux par excellence ; il y en a partout. Sans parler des théâtres antiques, des arènes romaines et autres aqueducs de la même époque.
Après une longue nuit (enfin !) à Madrid et 2 h 40 de vol, nous retrouvons notre petite île et ses plages blanches, de belles images plein la tête pour longtemps encore.
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Résumé technique de l’épreuve
2158 km parcourus divisés en 6 branches, 7 étapes : Léon, La Coruña, Vila Real (Portugal), Badajoz, Jerez de la Frontera, Granada, Madrid.
Temps de vol : approximativement 12 h pour un monomoteur de 180 cv.
Épreuves : 10 chronos, 61 localisations orographiques avec photos, 15 identifications, 4 contrôles de passages, 2 atterrissages de précision et 13 questions de théorie aéronautique.
L’inscription coûte 20.000 Ptas par personne (1 100 FF), et 25.000 Ptas par avion (1 400 FF) ce qui inclue tous les repas et nuits d’hôtel en chambre double (supplément de 550 FF pour chambre individuelle), les transferts, et la totalité du carburant pendant l’épreuve. Il n’y a donc aucun frais supplémentaire, si ce n’est l’arrivée jusqu’au point de ralliement, et le retour à la maison. Chacun recalculera le prix de ses heures de vol pendant l’épreuve en soustrayant le carburant.
Pour obtenir le calendrier des épreuves, écrire au
RACE (Real Aeroclub de España), Carrera de San Geronimo 15. 28014 Madrid – Espagne.